TRADUCTION A PARAITRE

 

MIKHAIL OUGAROV

La cuisine des sorcières

traduction Tania Moguilevskaia, Gilles Morel


Extrait du texte

KALINKA - MALINKA

Il est dit, petite cuisine, pas parce qu'elle est petite. La petite cuisine n'est pas petite. Elle est si encombrée de dieu sait quoi, qu'on ne peut pas s'y faufiler. Il y a des placards et des armoires à linge.

Et une gazinière. à la table sont assises : MAKAROVNA et KIRILLOVNA. PAVLIK agite les pieds assis devant ses nouilles interminables. Dès qu'il a fini son assiette, il saute de sa chaise, se ressert, grimpe sur sa haute chaise, et mange de nouveau.


MAKAROVNA, vivement. - Viens, qu'on chante, mon amie!
KIRILLOVNA, tristement. - Non, jeun'fille, suis pas d'humeur à chanter.
MAKAROVNA. - Trépasser, v'là qui s'rait bien, hein ? En v'là qui s'portent bien : les trépassés. Les trépassés, jeun'fille, ils vont mieux qu'nous. Dans l'vent qu'ils volent, dans l'vent, rien qui les retient, nul'part. Sur l'herbe soyeuse qu'ils marchent, s'réjouissent de la lumière!
PAVLIK. - Trépasser, c'est dur à faire. Il faut l'vouloir très fort.
KIRILLOVNA. - M'en cause pas.

KIRILLOVNA se met à pleurer.

MAKAROVNA. - Chiale pas. J'aurai pas pitié d'toi.
KIRILLOVNA. - Pas pitié ?
MAKAROVNA. - Comprends-moi, t'es pas franche avec moi. Tiens, tu t'es tordu l'genou... Pis l'genou, c'est quoi ?
KIRILLOVNA. - Le g'nou ? Ben... C't'une articulation.
MAKAROVNA. - Pis c'est quoi, une articulation ?
KIRILLOVNA. - N'articulation ? Ben.... Une jointure.
MAKAROVNA. - Pis c'est tout ?
KIRILLOVNA. - C'tout.
MAKAROVNA. - Suffit pas.
KIRILLOVNA. - Ben... Quand une chose, par exemple, s'touche avec une autre. C'est ça ?
MAKAROVNA. - Voilààà! Un petit os qui rent'dans un autre. L'un peut pas s'passer d'l'autre. L'un, il va avec l'autre. Il y a d'l'amour ent'les deux! C'pas vrai ?
KIRILLOVNA, confuse. - Qu'est-ce j'en sais, moi. Les os d'une vieille...
MAKAROVNA. - L'amou-our. L'amou-our ! T'peux m'croire, je parl'pas pour rien. Quand est-ce que j'ai d'jà parlé pour rien ? Pourquoi qu'ton genou il a enflé ? Les amours s'sont défaits.
KIRILLOVNA. - Je l'ai cogné, mon g'nou. Je l'ai cogné, bécasse, et pis v'là tout.
MAKAROVNA. - Pis v'là. T'y as tout démoli.

KIRILLOVNA soupire.

PAVLIK. - Pis chez moi ? Pis moi ? Y en a des amours d'dans moi ?
MAKAROVNA. - Ben comment! Même le soleil t'fait la fête. Pis les oiseaux, comment qu'ils font là dehors quand ils t'voient ?
PAVLIK. - Cui-Cui Cui-Cui.
MAKAROVNA. - T'vois. Pis les scarabées t'font la fête aussi. Not'p'tit chaton à nous...
PAVLIK, content. - Pis les scarabées.
KIRILLOVNA. - Malheureuse que j'suis. M'enamourrache trop facilement.

Tous se taisent.

MAKAROVNA. - Est-ce qu'j'ai pas eu pitié d'toi, jeun'fille ?
KIRILLOVNA. - T'as eu pitié.
MAKAROVNA. - Toujours eu pitié d'toi. J'ai pas pensé à toi ?
KIRILLOVNA. - T'y as pensé.
MAKAROVNA. - Toujours pensé. Des fois, j'avais mêm'pas l'temps d'penser ê moi, alors ê toi...
KIRILLOVNA. - Là, j'ai rien à dire.

Silence

MAKAROVNA, se penche vers elle et lui chuchote ardemment à l'oreille. - Tu veux que j'fasse le feu ?

KIRILLOVNA se tait.

MAKAROVNA, se lève avec détermination. - Pench'pas, pench'pas pas la tête. Pourquoi que tu la tiens penchée comm'ça ? PAVLIK. - L'est tout'chagrine.

MAKAROVNA allume la gazinière. Vide une bonbonne dans une casserole en cuivre, ajoute des herbes et des poudres. Mélange longuement. Un silence tendu.

MAKAROVNA. - L'veut pas bouillir.

MAKAROVNA jette par terre la cuillère avec laquelle elle mélangeait le bouillon. Trépigne, furieuse contre la casserole.

MAKAROVNA, crie. - Touille! Touille! Bouille! Tu vas bouiller, ou quoi ?
PAVLIK. - L'veut pas.

MAKAROVNA crache dans la casserole, mais la casserole s'en fout. MAKAROVNA chiale de rage. PAVLIK en la voyant se met aussi à chialer. KIRILLOVNA se tait.

PAVLIK, en chialant. - Si tu t'mets à chialer, je t'aimera pas.
MAKAROVNA, en chialant. - Eh ben m'aime pas. M'aime pas. Y a personne qui l'aime Mémé, alors toi non plus, m'aimes pas. Chie lui dessus à Mémé. Qu'est-ce que ça peut bien t'faire?

PAVLIK chiale.

KIRILLOVNA, apaisante. - Chiale pas. A quoi qu'ça sert d'chialer ?

Et là, d'un coup, MAKAROVNA se calme. S'essuie dans le tablier. Et PAVLIK s'apaise.

MAKAROVNA, avec détermination. - Eh ben, je vais en r'cuire. Faites de moi c'que vous voulez. J'en r'cuis encore et pis voilà.
PAVLIK. - Recuis-en, pourquoi pas ?
KIRILLOVNA. - Recuis-en pourquoi pas...

Retire la casserole du feu, ouvre la porte grinçante d'une armoire à linge et là, en poussant des cris, jette dans les profondeurs obscures le bouillon et aussitôt claque la porte. De tous les trous de l'armoire sort une fumée dense et irritante. PAVLIK crie d'enchantement.

MAKAROVNA. - Aïe, mémé! Aïe, mémé! (S'adresse à KIRILLOVNA.) Tu m'respectes pas, amie.
KIRILLOVNA. - De quoi ? J'te respecte.
MAKAROVNA, en s'essayant à coté d'elle. - T'es secrète.
KIRILLOVNA, apeurée. - Et pourquoi ça ?
MAKAROVNA. - Tu devrais le savoir, le pourquoi ? Avec tes secrets pis tes silences... ça peut pas marcher. (Elle lui tend la casserole sous le nez.) L'est pas conne, elle. Elle sait tout, la casserole. Non mais qu'est-ce c'est que ça, qu'elle dit, j'me mets en quatre pour elle, moi, et tout ça pour quoi, qu'elle dit ? Et v'là l'autre, la méchante-crotte, qui s'tait. Et v'là-t-y pas qu'elle fait sa menteuse.
KIRILLOVNA, en baissant les yeux. - J'saurai pas quoi t'dire.
MAKAROVNA. - Tu devrais y dire. Que'que chose.
KIRILLOVNA, craintive. - Et si j'y disais ?

MAKAROVNA se fige. Et là, la porte de l'armoire à linge commence à grincer et, lentement, elle s'ouvre toute seule... Les vielles se sont tues.



 

Trois pièces

Personnages

KALINKA - MALINKA
Makarovna
Kirillovna
Pavlik

LE DINER
Olga Danilovna
Natacha
Lizka

CHYCHEL - VYCHEL
Pavla
Choura
Vas'ka







ougarov

Mikhaïl Ougarov, Novaia Drama 2002



 

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