TRADUCTION A PARAITRE

 

MIKHAIL POKRASS

Ce qu'on ne dit pas

traduction Tania Moguilevskaia, Gilles Morel


Extrait du texte

LE GARCON. - Je peux parler. Je me souviens des mots. Je connais beaucoup de mots de notre langue mais je ne parle pas. Je les connais, les mots. Mais cela ne m'aide pas à mettre des mots sur ce qui m'arrive. Ce ne sont pas les mots qui me posent problème. Simplement, je n'ai pas assez de temps pour comprendre ce qui se passe. Pour comprendre et pour nommer. Peut-être que ce qui se passe est plus rapide que les mots. (En disant celà, il laisse tomber un objet qu'il faisait tourner dans ses doigts.) Peut-être que ce qui se passe est plus grand que les mots (Son regard glisse lentement sur les visages des spectateurs, il essaie de voir tout le monde). Là, je dis "Je suis debout et je regarde", mais en realité ? (Il s'arrête et regarde.) Il se passe encore autre chose ! Peut-être que ce qui se passe est complètement différent des mots ? Incompréhensible. J'ai toujour très peur de ne pas arriver à temps, je ne sais pas où, mais elle est presque constante, cette peur de ne pas arriver à temps. Là, tu marches, tu gigotes, mais tu ne fais rien, tu gigotes pour rien... Soit tu te balades l'air sombre, indigeste pour tout le monde... Et enfin, quelqu'un te demande :"Qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce qui t'arrive ?". On suppose que tu en veux à quelqu'un ou que tu as mal... quelque part. C'est peut-être vrai. Seulement, le problème n'est pas là. Il t'arrive aussi quelque chose d'autre. Quelque chose de complètement différent. Mais quoi?

Pause

(Il reprend dans l'ordre.) Il se passe quelque chose avec moi. J'ai beaucoup de mots dans ma mémoire. Mais je n'arrive pas à exprimer quoi que ce soit avec ces mots. Alors... j'ai l'impression qu'il n'y a rien. Et puisqu'il n'y a rien, j'ai l'impression qu'il n'y aura jamais rien. Dans ces moments là, je n'ai plus du tout envie d'exister.

Tu penses peut-être que tout est de la faute de maman. (Il appelle.) Maman! (Il attend.)

Dans la pièce voisine apparaît sa mère, le garçon la voit de là où il se trouve (les spectateurs ne la voient pas).

Maman, je m'en vais. Tu ne sais pas où j'ai posé ma clé ? (Il regarde par terre.) Ah, la voilà. (Il la ramasse) Bon, aller... Maman, je m'en vais... (Il s'arrête.) Maman, je suis parti... Si quelqu'un m'appelle... Bref, je reviens bientôt. (Il sort.)


Macha, la mère, apparaît et s'arrête sur l'avant-scène. Elle regarde attentivement les gens dans la salle.

MACHA. - Parfois, j'ai l'impression de ne pas exister. Je parle avec quelqu'un et je réalise qu'il ne me voit pas. Il me dit peut être des mots agréables, mais cela n'a aucun rapport avec moi. Tout se passe comme s'il parlait avec lui-même ou avec un spectateur imaginaire et pas avec moi. Comme s'il disait tous ces mots devant quelqu'un, pour quelqu'un mais pas pour moi. Et pourtant, c'est à moi qu'il s'adresse.

Mais le plus important, c'est que cela ne me dérange pas. Au contraire, ça m'arrange. Je suis indifféremment d'accord avec tout. Tout ce que je veux, c'est être tranquille, c'est tout. Vivre sans aucun soucis. En fait, je sens bien que je trompe tout le monde, qu'en réalité, depuis longtemps, je ne sais plus qui je suis ni où je suis. Dans ces moments-là, je n'ai pas envie rentrer chez moi...

YANA, elle entre brusquement. - La situation est la suivante : ça c'est ma maison. J'habite ici, moi, ma mère et mon père.
Là-bas, c'est la chambre de mes parents, la mienne est par ici. Puis la cuisine, les toilettes, la salle de bain... La fenêtre de la chambre de mes parents donne sur une cour. Dans ma chambre... là-bas, sur le rebord de la fenêtre, il y a un bocal rempli d'une eau transparente et dans cette eau, une branche. Et dans le couloir sont accrochés un vélo et des skis... Voilà... Là, c'est le salon... (Elle regarde Macha.)

Ma mère, je ne la connais pas du tout.

MACHA. - Et ton père?

YANA. - Mon père... Bon, on fait du vélo ensemble... Et puis...

MACHA. - Quand il est fâché, c'est insupportable, mais dans ces moments-là, je sens très fort cette maison ou je ne la sens pas. Je ne sais pas. Ici, d'habitude on n'arrive ni à ressentir, ni à penser quoi que se soit. Impossible de se concentrer, parce que je ne suis pas seule ici, nous sommes deux, et quand papa va revenir nous serons trois ...Yana , sors d'ici s'il te plaît...Yana, sors d'ici s'il te plaît.

La mère fait le ménage à la maison. Elle est fâchée contre sa fille qui déambule et la gêne.

Va t'en, va t'en d'ici, s'il te plaît. Va t'en, va t'en.

Yana va dans la cuisine, où elle tombe de nouveau sur sa mère.

Mais pourquoi es-tu toujours dans mes pieds !

YANA. - Non, c'est toi, maman, qui est toujours dans mes pieds.

MACHA. - Vas-y, vas-y, parle encore comme ça à ta mère.

Yana sort de la cuisine, la mère la suit avec un seau. Elle frappe à la porte des toilettes.

Tu en as encore pour longtemps ?!

YANA. - Maman, je viens justed'entrer.

MACHA. - Allez, sors d'ici et en vitesse. Je ne comprends pas pourquoi dès je suis là avec le seau, il faut que tu aies justement besoin d'aller aux toilettes.

YANA, au public. - J'ai beaucoup de problèmes!
Le problème numéro un : le fait que mon papa n'a pas du tout confiance en moi et considère que je suis une putain, ou quelque chose comme ça. Par exemple: hier je reviens de la biblihothèque nationale à vingt heure trente, mon père me demande : "Où tu étais ?" Je dis : "A la biblihothèque nationale, avec Ankia, on faisait nos devoirs". Et lui me répond:"Je ne te crois pas". Ou encore hier je devais seulement au cours de la deuxième heure. Papa me réveille pour celui de la première, et me dit: "Pourquoi tu dors encore ?"
Je lui réponds: "Je dois aller seulement au deuxième cours" et lui me dit: "Tu mens".
Problème numéro deux: Tout le monde à la maison veut m'humilier et m'oblige à faire des tâches domestiques.

Macha entre, lave le sol, sous la chaise où est assise Yana. Elle regarde sa mère de haut en bas.

Je t'aime. Je t'aime, maman. Mamaaan...

MACHA. - Et le torchon dans la figure ?

YANA. - Pourquoi ?

MACHA. - Parce que.

YANA. - Et toutes les deux minutes tous me crient : tu ne fais rien à la maison, tu ne fais rien du tout à la maison!

Le problème numéro trois : Machka Apananskaia est une hypocrite et moi je la croyais ma copine. Natacha m'a raconté, que le garçons lui ont raconté que Machka parle derrière mon dos...

Macha s'arrête au milieu de la pièce, son torchon dans la main.

Maman, qu'est ce qu'il ya ?

MACHA. - Rien.

YANA, au public. - Mais elle continue à rester assise à ma table.(Elle se tourne vers sa mère.) Maman, qu'y a-t-il?

MACHA. - Non, non rien.

YANA, au public. - Elle se met déjà à me dire en face le fond de ses pensées, et pourtant elle continue à s'asseoir à ma table...

Qu'est ce qu'il y a maman?

MACHA. - on, rien! Tu va faire un jour la poussière dans ta chambre ou tu préfères attendre qu'elle disparaisse toute seule ?!

YANA. - Maman, ben bien sur qu'elle va disparaître toute seule. Maman. Bon, d'accord, je vais la faire tout de suite. Mais attend, attend, j'y vais. Bon,j'y vais... Voilà, j'y vais. Je t'ai dit : "J'y vais". Tu vois...

(Macha sort.)



 

Pièce

Personnages

MACHA, la mère
YANA, la fille
LE GARCON
ANIA













pokrass

Mikhaïl Pokrass

Né en 1977 à Samara (anciennement Kouibychev). Acteur, auteur dramatique et metteur en scène.
Vit à Moscou depuis 1995. A fait ses études à l'Institut Pédagogique de Samara, faculté d'Histoire de la culture mondiale. A terminé en 2001 la faculté de jeu et de mise en scène du GITIS (atelier Marc Zakharov).

 

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