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MIKHAIL OUGAROV
La mort d'Ilia Ilitch
traduction Yves Barrier
Extrait du texte
ARKADI. Permettez-moi de me présenter...En fait, appelez-moi simplement...
OBLOMOV. Arkadi Mikhaïlovitch.
ARKADI. Votre précédent docteur, Karl Ivanovitch...
OBLOMOV. M'a prévenu. Et il m'a donné votre nom.
ARKADI. Je viens de terminer mes études. Docteur en médecine. J'ai travaillé à Vienne, à,l'institut des maladies nerveuses.
OBLOMOV. Et à l'hôpital Oboukhov.
ARKADI. L'école de pathologie nerveuse à Augsbourg, la Salpétrière à Paris, le docteur Jean Martin Charcot...
OBLOMOV. (L'interrompant) Et à chat ? Vous jouez ?
ARKADI. (Après un temps) Vous n'auriez pas reçu un coup sur la nuque ?
OBLOMOV. (très aimable) Si, sur toutes les parties de la tête. Le front, quand je descendais une colline en traineau, et le sommet du carafon, quand, mal réveillé, j'ai buté sur le seuil. La tempe contre une encoignure, quand on ne m'a pas servi de pâtés au poisson. La nuque, quand
les brigands cosaques m'ont abattu d'une balle. L'occiput, car ce n'était pas le bon pied pour la polonaise...Le sinciput, quand les servantes sortaient la soupière du buffet. J'ai eu un tel coup sur le sinciput que je suis resté un quart d'heure dans les pommes. On a eu du mal à me faire revenir à moi...Est-ce que j'ai bien tout énuméré ? (Il pérore très rapidement) Attendez, la tête, c'est le visage, et la tête dans son ensemble. On ne touche pas au visage. Bien que j'aie eu l'arcade sourcilière fendue, mais on n'en parle pas, on l'a dit. Prenons la tête, est-ce que je n'ai rien oublié ? La tête se compose du sommet, des tempes, (ça, ce sont des mèches de cheveux), de la nuque (on dit aussi l'occiput, ou l'arrière de la tête). Continuons, le pariétal, l'occipital... (Il reprend haleine) C'est tout, je crois !
ARKADI. (Enthousiaste) Vous êtes un véritable fou !
(Oblomov le regarde avec tristesse. Il soupire, se glisse de nouveau sous la table, et laisse retomber le pan de la nappe.)
Où êtes-vous ?
OBLOMOV. Je suis parti.
ARKADI. Vous êtes fâché ?
OBLOMOV. Je suis dans ma petite maison.
ARKADI. Pardonnez-moi, je vous en prie, ça m'a échappé. Je ne comprends pas moi-même comment...
(Silence) Je vous demande pardon ! Je vous le promets, je saurai me tenir ! Ilia Ilitch !
OBLOMOV. Qui est là ?
ARKADI. Arkadi Mikhaïlovitch. Docteur en médecine.
OBLOMOV. Qu'est-ce que vous voulez ?
ARKADI. Bavarder.
(Silence)
(Il cogne contre la table) Toc, toc, toc !
OBLOMOV. Qui est là ?
ARKADI. Des invités.
OBLOMOV. Je n'ai pas dit de laisser entrer. Les coqs n'ont pas encore chanté. Aux premiers chants, vous serez le bienvenu.
ARKADI. (Après avoir gonflé sa poitrine) Co- co -ri- co !
OBLOMOV. Qui est là ? Les chiens n'ont pas encore aboyé.
ARKADI. Ouaf, ouaf !
(Silence.
La nappe s'est relevée. Le visage d'Oblomov apparaît)
OBLOMOV. (Ravi) Vous êtes fou !
ARKADI. (Tout rouge) Adieu.
(Il tourne brutalement les talons, et sort)
OBLOMOV. Vous êtes fâché ?
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Pièce en 2 parties et 11 tableaux selon des motifs de Oblomov, roman de Ivan Alexandrovitch Gontcharov.
Personnages Ilia Ilitch Oblomov
Zakhar, serviteur d'Oblomov
Arkadi, docteur
Andreï Ivanovitch Stolz
Olga Seguéïevna Ilinskaïa
Agafia Matéevna Pchenitsyna
Mania et Vania, enfants de Pchenitsyna
Le premier commissionnaire
Le deuxième commissionnaire
" Je, soussigné, certifie, en apposant mon cachet, que le secrétaire de collège Ilia Ilitch Oblomov souffre d'hypertrophia cordis cum dilatatione ejus ventriculi sinistri (hypertrophie du coeur avec dilatation du ventricule gauche) dont l'évolution peut menacer dangereusement la santé et la vie du malade par des attaques répétées, résultant, comme il est à supposer, de la fréquentation quotidienne du bureau. En raison de quoi, pour prévenir toute répétition et aggravation des crises, je juge nécessaire que M. Oblomov cesse pour un temps de remplir sa fonction, et lui prescris de s'abstenir de tout activité intellectuelle ou autre. "
Mickaïl Ougarov, Novaia Drama 2002
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