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OLGA MOUKHINA

Un amour de Karlovna

traduction Nicolas Struve


Extrait du texte

NE PAS TREMBLER - lui dit une étoile à sa droite.
NE PAS SE RETOURNER - lui dit une étoile à sa gauche.
TOUT OUBLIER - ajouta une éclatante étoile qui brillait devant lui et qui,
alors, se mit à l’observer avec une profonde, une infinie, tristesse.

Tiré d’une très ancienne histoire.


PREMIERE PARTIE

Premier acte

Premier tableau

Nuit. Une large rue. Holly et Montfleuri reviennent de chez des amis, ils courent, esquissent des pas de danse.

MONTFLEURI. - Tu es belle aujourd’hui printanièrement nu-pieds
HOLLY. - Moque-toi
MONTFLEURI. - C’est la saison du roman de Françoise, de la froide Moscou, du bleu Paris
HOLLY. - Des gares, des joyeuses violonades juives, des pleurs
MONTFLEURI. - Des hommes - danses, accordéons
HOLLY. - Mains, yeux, mots-baisers - qui apprennent tout
MONTFLEURI. - Moi, j’entends tout à travers les murs
HOLLY. - Mensonges
MONTFLEURI. - Demandez à qui vous voudrez
HOLLY. - Je ne crois personne
MONTFLEURI. - Ni le chat, ni la souris
HOLLY. - Ni nos voisins Nadia et Vitali ni leur roman estival qui se prolonge
MONTFLEURI. - Pourtant, ils sont gentils
HOLLY. - Ou alors nous nous sommes encore simplement saoûlés ?.. Montfleuri, parlerons-nous un jour l’esprit clair ?
MONTFLEURI. - Jamais. C’est bête, bête, bête, bête, bête...

HOLLY. - Montfleuri me guide par les rues. Il me montre le chemin.
Montfleuri a ses secrets, moi les miens.
Nous habitons l’appartement numéro dix, sixième étage. Montfleuri sous un divan a deux valises et - c’est tout.
Montfleuri et moi buvons du thé.
Montfleuri et moi menons une conversation.
Nos visages sont sérieux, nous avons, tous ont, d’importantes questions, d’importantes affaires.

ET QUE TOUT FLAMBE BLEU
TOUTE LA MOSCOU DE L’AN 1812
QUE NATACHA ROSTOVA SAUVE LES BLESSES
LA NOBLESSE EST ÉVACUÉE
ET QUE VIENNE LE TYPHUS
QUE VIENNE LE CHOLÉRA
MONTFLEURI, PORTEZ-NOUS DE LA BIERE !


Deuxième tableau

Une musique me précédait, saxophone, trompettes, chansons tristes, mort, séparations, voix d’hommes, air gelé et neige parsemée de feuilles vertes. Saison du roman de Françoise, du bleu Paris, de la froide Moscou, des gares, des joyeuses violonades juives, des pleurs de honte ou de remord - peut-être que ce n’est pas la même chose.
Trois jours d’égarement, le mien ? celui de quelqu’un d’autre ? ou beaucoup plus que trois, sans fin poursuivi peut-être ? folie du lait tendre, matinal ou de mains tendres, d’un désordre matinal, du froid matinal, du bonheur (d’un instant), de la peur.
Accordéon, danses, hommes. Yeux, mains, mots-baisers, larmes de pitié - comme, comme je suis malheureuse...

Soleil, chaleur. Dans la chambre de Holly les fenêtres sont ouvertes, les rideaux volent. Holly a sur le visage un mouchoir mouillé.

HOLLY. - Tu ne m’en veux pas pour hier ? J’ai eu si peur.
MONTFLEURI. - Si on allait au ciné ?
HOLLY. - J’ai pensé que si je m’asseyais dans le fauteuil on allait m’égarer, ne plus me retrouver, et que si j’allais sur le balcon - personne ne me verrait plus, tout simplement, que tous allaient partir et que moi je resterais, là, allongée sans bouger.
MONTFLEURI. - Quatorze, seize, dix-huit, vingt-deux.
HOLLY. - Que mon coeur ne battrait plus qu’une fois tous les cent ans - et qu’entre chaque battement, j’aurai le temps de penser à un tas de choses.
MONTFLEURI. - De l’amour pour les siècles des siècles.
HOLLY. - Dans la rue un policier m’a observé très longtemps, moi je n’avais pas la force de lui demander ce qu’il voulait. J’avais peur de prendre ne serait-ce qu’une inspiration pour lui répondre, peur que mon cœur ne lâche.
MONTFLEURI. - Si on y va à seize heures, on aura encore le temps de passer chez quelqu’un après.
HOLLY. - Toute la journée j’ai longé les murs de Kitaï-Gorod, marché le long de ses sentiers, durant tout le temps qu’a duré ce voyage sans fin je n’ai entendu les roues du métro que trois fois.
MONTFLEURI. - En chemin, on fera un saut dans un magasin, pour ne pas arriver les mains vides.
HOLLY. - C’est un vraiment le cauchemar, non, si, quand tu entends une réponse, tu ne sais même plus de quoi il est question ?
MONTFLEURI. - (Il rit) .”Le dernier appel de l’amour...”
HOLLY. - Seulement, il ne bat plus le coeur...
MONTFLEURI. - Allons-y.
HOLLY. - En avant, toujours en avant - une carriole à chats... Qu’est-ce que je ferai moi, quand je verrai les rides, la peur - je mourrai ?..
MONTFLEURI. - On va au ciné.
HOLLY. - Je mourrai ?...
MONTFLEURI, avec lassitude. - Non, tu ne mourras pas, par ce que maintenant - nous allons au ciné; quant à vivre, tu vivras encore longtemps-longtemps et tout ira très bien.
HOLLY. - C’est vrai ?
MONTFLEURI. - Tu sais bien que je ne mens jamais. Ton Ivanov va revenir, vous allez faire un tas d’enfants, vous vivrez main dans la main, plein de bonheur et tout paisiblement.
HOLLY, elle pleure. - C’est vrai ?
MONTFLEURI. - Et voilà... - Bien sûr que c’est vrai. Mais là, on va au ciné voir un film d’amour rigolo, puis on ira chez une amie à moi. D’accord ?
HOLLY. - D’accord.
BUGALSTER. - C’est très bien.
HOLLY, elle rit. - Je ne sais pas ce que je vais faire avec eux... Ils arrivent, racontent n’importe quoi puis ils se mettent à rire.
Comment faire pour les mettre dehors sans les vexer ?
MONTFLEURI. - Qui ?
HOLLY. - Et plus l’homme, c’était la première fois qu’il venait ici, la fois d’avant c’était un autre.
MONTFLEURI. - Mais pourquoi les mettre dehors ? Tout le monde ne les reçoit pas - les hommes. On va leur laisser un peu de bière. D’accord ?
HOLLY. - Tu crois qu’ils en boivent ?
MONTFLEURI. - Pourquoi, ils sont spéciaux les tiens ?
HOLLY. - Je ne sais pas, je ne leur ai encore jamais rien proposé.
MONTFLEURI. - Tu as raison. Faut pas les habituer. On y va.




 
karlovna

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cote NOVAIA : NRU 92







PIECE D’ADIEU. PIECE A FUMER

2 parties
8 actes
16 tableaux







Personnages

HOLLY, une toute jeune fille
MONTFLEURI, son voisin dans un appartement communautaire
BÉGONIA, leur amie
IVANOV, un homme fort relatif
AIMÉE KARLOVNA, une défunte, ayant autrefois habité la chambre de Montfleuri
HOMMES ÉPISODIQUES
FEMMES ÉPISODIQUES.








moukhina

Olga Moukhina, 2003














 

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